Le coup d’État militaire contre le Président Mohamed Bazoum, le 26 août 2023 à Niamey au Niger est suivi de près par les communautés de l’espace CEDEAO, résidantes en Côte d’Ivoire. Les précédents putschs au Mali et au Burkina Faso ne les avaient pas laissés indifférent. Certes. Mais cette fois-ci, en plus des sanctions, la menace d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel suscite bien de réactions.
Dimanche 9 septembre 2023. Yamoussoukro. Gare routière. 10 heure 5. Face à son étal de fortune, Bokoum est beaucoup plus préoccupé par l’écran de son Smartphone. Ce modeste vendeur de paires de lunettes, la cinquantaine, né à Zinder au Niger, occupe cette place de 2 mètre carré dans capitale politique de Côte d’Ivoire. Il est ici depuis cinq ans. La courte vidéo qu’il regarde parle du coup d’État au Niger, son pays natal. Le Président Mohammed Bazoum, élu en avril 2021, il y a un peu plus de deux ans, a été déposé le 26 juillet 2023 par un coup d’État militaire. Depuis cette date, c’est le général Abdourahamane Tchiani qui s’est imposé chef de l’Etat. Mais ce coup d’Etat va changer son programme.
« Chaque deux ans, je fais un tour au pays. Mais cette affaire de coup d’État et les menaces de guerre compromettent bien ce projet cette année », se plaint, le visage renfrogné, le commerçant.
Ils sont environ 750 000 Nigériens qui vivent en Côte d’Ivoire, selon les chiffre officiels.
Au-delà de son projet de voyage, Bokoum se préoccupe davantage pour ses compatriotes, victimes collatérales des sanctions internationales. Cela est d’autant plus choquant pour lui que ces sanctions sont le fait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). « Je crois que la CEDEAO devrait penser plus au peuple qu’au chef d’Etat Bazoum ».
En fait, depuis le coup d’Etat, les Nigériens sont comme sur blocus ! Dans le noir. Notamment à cause de la suspension des transactions commerciales et financières entre les pays de l’UEMOA, y compris celles impliquant les produits pétroliers, l’électricité, les biens et services ; de la fermeture des frontières avec les pays de l’UEMOA ; du gel des avoirs financiers et monétaires du Niger à la BCEAO et dans les banques commerciales des pays de l’UEMOA ; du gel des avoirs financiers et monétaires des entreprises publiques et parapubliques du Niger à la BCEAO et dans les banques commerciales des pays de l’UEMOA ; suspension des opérations financières entre les banques du Niger et les banques installées dans les autres pays de l’UEMOA ; suspension de toute assistance et transaction financière en faveur du Niger par les institutions de financement de l’UEMOA, en particulier la BOAD…
« Qu’ a fait le peuple du Niger, déjà résilient, pour subir de telles sanctions ? Ceux qui ont décidé de ces sanctions savent bien que les putschistes n’en ont rien à cirer et cela ne les fera pas retourner dans les casernes », s’enflammait pour sa part, Amadou Guindo, vendeur de pagne à Odienné. Interrogé ce vendredi 8 septembre au marché d’Abobo, ce père de famille qui vit en Côte d’Ivoire depuis bientôt 25 ans ne comprend pas pourquoi la CEDEAO ne cible pas ses sanctions sur les seuls auteurs du coup d’État.
La CEDEAO a pourtant ciblé les auteurs du coup d’Etat. Le général Tiani et ses hommes sont sous le coup d’interdiction de voyage, gel d’avoirs financiers et confiscation de leur patrimoine, interdiction de séjour dans les pays de l’espace UEMOA…
Pour Moussa Ag Ali, revendeur d’igname, rencontré le 7 septembre au grand marché les militaires ne feront pas plier les putschistes.
« Qui vous leur a dit que ces militaires sont fortunés ; s’ils avaient ces moyens, s’ils étaient aussi fortunés, ils n’auraient jamais fait de coup d’État », soutient Moussa Ag Ali. Qui estime que l’opération militaire en cours de préparation par les pays de la CEDEAO sera une mauvaise.
L’ultimatum lancé par la CEDEAO aux militaires est expiré depuis le dimanche 6 septembre. La Côte d’Ivoire, comme plusieurs autres pays de l’organisation, s’est engagés à fournir des soldats pour réinstaller, par la force, si le général Abdourahamane Tchiani et ses hommes ne rendent pas le pouvoir, le président Bazoum.
Dans cette affaire, les éléments de langages des activistes ‘‘panafricanistes’’ passent. « C’est la France qui est derrière cette guerre contre le Niger », se dit convaincu Bokoum. Il brandit une vidéo de l’activiste Kémi Séba où le Franco-Béninois est incisif.
« Croyez-moi, ne faites pas l’erreur d’attaquer, ce sera l’erreur de trop », peut-on entendre l’activiste. Il poursuit en explique que ce qui se joue à Niamey dépasse le cadre sous-régional. « Il s’agit uniquement de la guerre entre l’impérialisme occidental, et ceux qui lui résistent. Ne soyez pas du mauvais côté de l’Histoire », avance le président de l’ONG Urgences Panafricanistes. Bokoum est persuadé : « Nous sommes appauvrit par la France », explique le vendeur de lunette. L’argument de Kémi Séba sur le contraste entre la richesse du Niger en Uranium et l’avant dernière place que le pays occupe dans les rang des pays les plus pauvre du monde prend le dessus.
Ce narratifs fait son chemin et est bien repris par bon nombre de résident de l’espace CEDEAO. Pour le président de l’Union des ressortissants des États membres de la CEDEAO en Côte d’Ivoire, (UREM-CEDEOAO), c’est bien une « une guerre de reconquête de l’Afrique par la France » qui se prépare au Niger.
El Hadj Sékou Kaba, par ailleurs président du Haut conseil des Guinéens de Côte d’Ivoire, cette intervention n’est pas nécessaire.
« J’ai peur des effets collatéraux. L’innocente population souffre et malheureusement la CEDEAO suit le dictat de la France, qui ne voit que ses intérêts. S.E. Bazoum n’est qu’un prétexte. Que deviendra notre Afrique après ces intimidations et ces actions? », s’inquiète M. Kaba.
le 9 août, cette union, qui regroupe les communautés de tous les pays de la CEDEAO vivant en Côte d’Ivoire, avait, lors d’une conférence de presse à Abidjan, pris position contre la solution militaire. Non sans proposer un règlement politique. « Il fait éviter de créer une sorte de confrontation entre et contre des pays frères », avait plaidé le Président Sékou Kaba.
La CEDEAO va-t-elle infléchir sa position et opter pour l’option diplomatique qui consiste à discuter avec la junte ?
« Il y a un grand fossé entre la CEDEAO, institution et la CEDEAO des peuples », analyse Marc Dossa, président de l’Organisation de la Presse Diplomatique et Politique de Côte d’Ivoire (OPDP-CI). Pour lui, ce fossé a été entretenu et élargit par certaines positions incohérentes de l’organisation. « Les populations ne comprennent pas qu’on tolère des coups d’Etat, comme au Mali ou Burkina Faso, et qu’on feigne la fermeté face à d’autres, comme celui du Niger ». Pour Marc Dossa l’organisation doit tirer les leçons de ses incohérences et repartir sur de nouvelles bases.
« Il faut dialoguer », a proposé le président de l’ODP-CI lors d’une audience avec la représentante résidente de la CEDEAO en Côte d’Ivoire, Fanta Cissé.
« Peut-être que nous ne communiquons pas assez. C’est possible. Mais je crois que la CEDEAO devrait être soutenue par les populations. Les coups d’Etats sont inacceptables. On ne peut pas atteindre nos objectifs de développement avec ces crises institutionnelles qui déstabilisent nos États », regrette la diplomate la CEDEAO qui assure que l’organisation s’active à renforcer l’intégration sous-régionale. Tout en invitant à l’implication de toutes les communautés pour relever les défis sécuritaires auxquels l’espace fait face.
Ténin Bè Ousmane