Lancée le 25 octobre 2019 par le Gouvernement à Touba dans la région du Bafing, la phase pilote du Projet Soja court jusqu’en 2025. Au fur et à mesure qu’on approche de l’échéance, parcelles et productions sont en nette progression.
« Nous ne sommes pas encore en période de récolte. Mais je crois que cette année sera meilleure », se réjouit samedi 21 octobre 2023, Moussa Soumahoro. Pour cet exploitant agricole de Koro, le retour du Projet Soja est une bouffée d’oxygène. Après l’interruption du premier, à cause de la crise militaro-politique de 2002, ce père de cinq enfants a dû attendre près de 20 ans pour retrouver le sourire.
Depuis 2020, plusieurs centaines de paysans des régions du Bafing et du Kabadougou se font enrôler dans ce vaste projet céréalier, piloté par le Gouvernement.
Il a été relancé le 25 octobre 2019. Et c’était là, la concrétisation d’une promesse faite par le Président Alassane Ouattara aux populations de ces deux régions, lors de sa visite d’État en juillet 2015. Le projet pratique entré dans sa phase active en juin 2021, suit son cours et depuis, surfaces et productions n’ont cessé de progresser.
Au terme de la campagne de 2021, 500 hectares cultivés, avaient produit 850 tonnes de soja. L’an dernier, en décembre 2022, lors d’une visite de supervision, le directeur de l’évaluation des projets, Sionseligam Silué, a révélé que la campagne de 2022 qui a porté sur 1 100 hectares, avait produit 2200 tonnes. Pour cette année, les parcelles augmentées à 3500 hectares par le défrichage de de 2000 nouveaux hectares, devraient produire 7 000 tonnes de soja grain. « Ces 2 000 hectares auxquels s’ajoutent les 1 500 hectares déjà défrichés et mis en valeur en 2022, feront un total de 3 500 hectares dans les trois régions du Bafing, du Kabadougou et du Folon ».
« LE GOUVERNEMENT DOIT RESPONSABILISER LA MASSE PAYSANNE », FOFANA BRAHIMA, PRESIDENT DES PRODUCTEURS DE SOJA
Exploitant agricole, Brahima Fofana est le Président de la Société coopérative agricole des producteurs de soja, créée en 1999 dans le cadre de l’ancien projet soja. Bénéficiaire du projet relancé en 2019, M. Fofona propose ses recettes pour une bonne issue de sa phase pilote en cours.
Relancée en 2019, la phase pilote du projet soja a effectivement commencé en 2021. Quel bilan faites-vous des campagnes précédentes ?
La relance de ce projet a été une véritable bouffée d’oxygène pour nous. Nous notons que chaque année, il y a une extension des parcelles et une augmentation du nombre des nouveaux paysans recrutés. Ceci montre tout l’intérêt que les populations du Bafing et du Kabadougou portent à ce projet. Cependant, dans les faits, nous constatons que les travaux ne sont pas toujours exécutés à temps et la plupart des entreprises cooptées ne sont pas souvent spécialisées dans l’agriculture. Il faut aussi poursuivre la structuration des masses paysannes.
Voulez-vous dire que les paysans recrutés ne sont bien organisés ?
Avant l’arrêt du premier projet, nous avions affaire à des coopératives agricoles avec conseil d’administration, bien structurées. Je crois que cette bonne structuration avait facilité les choses. Cette fois-ci, le projet ne semble pas prendre en compte ces aspects structurels. Ils procèdent à de nouveaux recrutements qu’ils tentent de mettre en coopérative. Je crois qu’ils auraient dû s’appuyer sur les coopératives existantes.
Heureusement que nous sommes encore là. C’est dans le cadre de notre coopérative que nous nous y sommes intéressés et nous entendons jouer notre partition, mettre en œuvre notre expérience.
Tous les paysans nouvellement recrutés sont aussi organisés en coopérative ?
Oui. Mais dans ce nouveau schéma, ils envisagent créer plusieurs coopératives par zone, alors que dans l’ancien projet, on était unis en une seule coopérative. Je pense que cet émiettement va nous affaiblir les masses paysannes. Car, il y aura forcément des coopératives de petites tailles. Et, je crois qu’au lieu de créer de nouvelles coopératives, le Gouvernement gagnerait à redynamiser l’ancienne et renforcer ses capacités.
Et la production en termes de bilan à mi-parcours ? Vous paraît-elle satisfaisante ?
L’année dernière, nous avons enregistré de faibles taux de rendements. La production totale était d’un peu plus de 2000 tonnes. Mais cette année, on sent qu’il va y avoir une nette amélioration. On espère que les récoltes de cette année seront meilleures par rapport aux années passées.
Le ministère de l’Agriculture table cette année sur une production de 7000 tonnes. Pensez-vous pouvoir atteindre cette production ?
Nous ne sommes pas encore à la récolte. Ce sera dans les semaines à venir. Mais comme je vous l’ai dit, les choses iront mieux cette année. On espère qu’à défaut d’atteindre cet objectif de 7000 tonnes, en être très proche.
Pensez-vous que les objectifs visés par le Gouvernement avec ce projet pilote pourront être atteints ?
Les objectifs sont loin d’être atteints. Je crois que la phase pilote sera rééchelonnée au-delà de 2025 pour prendre en compte tous les dysfonctionnements. Il y a encore du travail à faire, notamment au niveau de la structuration des producteurs et les bases de la transformation…
Nous n’avons pas encore de grandes unités de transformation. En dehors de petits transformateurs, dont moi-même. Certes, il est prévu la construction de nouvelles unités. Des bailleurs de fonds sont même venus chercher cette année, un site dans le village de Niamasso non loin d’Odienné. C’est cette usine qui rachètera la production aux producteurs. Mais pour le moment, il n’y en a pas.
En attendant, qui achète la production pendant cette phase pilote ?
Nous vendons avec des commerçant ambulants. Moi, j’en transforme en lait, mais cela, de façon artisanale. Nous savons qu’une usine avait été inaugurée à Touba dans ce sens. Mais je ne pense pas que cette seule usine, si elle fonctionne vraiment, contiendrait toute la production au paysan.
Le Gouvernement envisage de faire de cette filière, une filière comme le coton. Pensez-vous que cela est possible ?
Tout est une question de volonté politique. Il suffit juste de mettre tous les éléments afférents en place. Mais je constate que, dans le cas du projet soja, il y a encore du travail à faire. Car, la masse paysanne n’est pas encore suffisamment responsabilisée. Il faut les structurer en coopératives avec conseil d’administration et surtout, former les nouvelles recrues en gestion des coopératives.
Quelles solutions proposez-vous pour que le projet retrouve sa vitesse de croisière ?
Nous avons besoin de bailleurs de fonds engagés dans le développement de cette filière soja, surtout des industriels prêts à nous appuyer pour que nous puissions transformer localement. Les mesures à prendre doivent viser la commercialisation, surtout garantir le marché. Il faut mettre les organisations agricoles en relation avec ces structures, tout en mettant l’accent sur la responsabilisation du paysan à travers les OPA (organisation professionnelles agricoles). Il faut faire en sorte d’impliquer les industriels et établir un partenariat gagnant-gagnant entre ces industriels et les paysans.
N’est-ce pas dans cette dynamique que le Gouvernement s’est inscrit depuis 2019 ?
Nous ne dirons jamais assez merci au président de la République et au ministre d’État, ministre de l’Agriculture, d’avoir relancé ce projet. Notre souhait est de voir tout aller mieux. Sauf que, pour le moment, on ne voit rien de transparent. À ma connaissance, le projet est piloté par l’inspection générale de l’évaluation, dirigée depuis le ministère à Abidjan et qui vient par moments, faire des visites. Il lui aurait plutôt fallu une représentation locale pour pouvoir suivre le projet de bout en bout.
TBO
Sionseligam Silué avait révélé que le Gouvernement qui attache du prix à cette spéculation, veut étendre les parcelles à 50 000 hectares dans les 10 prochaines années, contre 17 000 pour l’ancien projet.
Le projet est constitué de trois grands axes : les semences, confiées à un privé ; la production pour l’agriculteur et la transformation qui sera l’affaire d’un opérateur qui achètera les productions, les transformera et les mettra sur le marché. Pour mieux l’organiser et le rentabiliser, le Gouvernement veut s’inspirer du modèle de la cotonculture où l’appui à la production est assuré par le secteur privé. « L’opérateur privé appuiera le producteur en termes de labour, semences, engrais et herbicides. À la récolte, il précompte toutes ses charges et le reste des ressources est remis au producteur », a-t-il poursuivi.
À Mahou Sokourala, dans la sous-préfecture de Touba, une ferme semencière et une unité de transformation sont prévus pour accompagner le projet. « Cette ferme permettra de donner des semences de qualité aux producteurs. L’unité de transformation sera d’une capacité de 10 000 tonnes modulables jusqu’à 30 000 tonnes, en fonction de l’évolution de la production. Ce qui permettra de transformer sur place, toutes les productions et de créer plus de 10 000 emplois », a-t-il indiqué.
« Nous remercions le Gouvernement pour avoir relancé ce projet. Qu’il continue de nous accompagner et nous permettre de vendre à des prix rentables, nos productions », plaide Bamba K., jeune exploitant agricole qui a rejoint le projet en juillet dernier.
En attendant la phase pilote, le Gouvernement espère achever le processus de réhabilitation de toutes les fermes semencières, des pistes menant aux parcelles, la construction d’infrastructures de conservation et de contrôle de la qualité des semences.
Ténin Bè Ousmane